L’arrêt Baby Loup retenu comme thème du café débat de l’Association Regards de Femmes, en présence de Christian Cadiot, Conseiller à la Cour de cassation, et de Maître Laurence Junod-Fanget, avocate au barreau de Lyon – Avril 2013
La Cour de Cassation a cassé l’arrêt de la Cour d’Appel de Versailles qui confirmait le licenciement d’une employée qui avait décidé à son retour de congé parental de porter le voile, ne respectant pas ainsi les dispositions du règlement intérieur de l’entreprise qu’elle avait accepté lors de son embauche. Cette décision a choqué l’opinion publique. La Cour de Cassation étant juge du droit, elle n’a pas à rediscuter les faits. L’affaire doit maintenant être rejugée devant la Cour d’appel de Paris qui n’est pas obligée de suivre la Cour de Cassation. D’autres moyens juridiques pourront être invoqués.
- Le principe de laïcité est posé dans la Constitution de 1958 : « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ».
La laïcité est une conviction parmi d’autres. Elle est privilégiée en France mais elle est minoritaire en Europe :
Selon l’article 9 de la convention européenne des droits de l’homme : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites »
« La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».
En outre le principe de laïcité ne concerne que l’Etat
- Nous devons nous inscrire dans les normes européennes qui sont :
La Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 qui crée un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail. Son article 4 est relatif aux exigences professionnelles
« Les États membres peuvent prévoir qu’une différence de traitement fondée sur une caractéristique liée à l’un des motifs visés à l’article 1er ne constitue pas une discrimination lorsque, en raison de la nature d’une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, la caractéristique en cause constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l’objectif soit légitime et que l’exigence soit proportionnée ».
Dans cette affaire la Cour de cassation a privilégié la norme européenne sur la norme nationale.
Le droit européen préfère une justification objective à une affirmation d’identité : le règlement intérieur aurait pu s’appuyer sur la raison liée à la pluralité de croyances.
Cet arrêt n’est pas sans conséquence sur l’enfant qui ne sera pas dans la même situation selon qu’il est accueilli dans une crèche publique ou dans une crèche privée souligne l’avocate. L’intérêt supérieur de l’enfant n’a pas été évoqué.
Baby Loup est une entreprise privée. Elle ne remplit pas une mission de service public comme une caisse primaire d’assurance maladie. Il n’y a pas de délégation de service public. Le principe de laïcité ne peut pas s’appliquer.
A l’entreprise privée s’applique l’article Article L1121-1 selon lequel : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ». C’est ainsi que la jurisprudence se réfère à la sécurité, à ’hygiène, aux ’impératifs commerciaux pour justifier des restrictions.
Ces deux interventions très appréciées ont suscité de nombreuses réactions :
– la laïcité revendiquée comme une croyance,
– le principe de l’égalité Femmes/Hommes sur lequel on pourrait s’appuyer puisque le port du voile n’est pas une prescription religieuse mais peut être regardé comme un acte de soumission, une façon de formater les filles et donc une rupture d’égalité entre les hommes et les femmes.
– l’intérêt supérieur des droits de l’enfant conformément à l’article 3 de la convention européenne des droits de l’enfant qui stipule que « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale »
-Si une crèche privée est financée pour l’essentiel sur fonds publics ne faut-il pas conditionner ce versement au respect d’un certain nombre de règles fondamentales ?
Le dernier mot : Comment voir l’espace public comme un espace de liberté si on doit se cacher de cet espace public.